Avec plus de 1,4 milliard d’habitants, l’Afrique est actuellement le deuxième continent le plus peuplé du monde en raison de décennies de forte croissance démographique. Cependant, cette dynamique varie considérablement selon les régions. Alors que l’Afrique subsaharienne affiche un taux de fécondité moyen de 4,5 enfants par femme, l’Afrique du Nord connaît une transition démographique notable, avec un taux d’environ 2,8 enfants par femme. Ces disparités reflètent des réalités économiques et sociales diverses, obligeant chaque région à adapter ses politiques pour répondre aux défis posés par cette croissance.
Selon les récentes projections des Nations Unies, d’ici 2050, l’Afrique accueillera plus d’un quart de la population mondiale. L’Afrique subsaharienne, en particulier, sera au cœur de cette expansion, représentant près de la moitié de la croissance démographique mondiale. Avec un âge médian de seulement 19,2 ans, la main-d’œuvre du continent croît rapidement, réduisant progressivement le ratio de dépendance. Si cette situation ouvre des perspectives de développement sans précédent, elle comporte aussi des risques majeurs, comme l’augmentation du chômage et des tensions sociales, si des investissements massifs dans la formation et la création d’emplois ne sont pas réalisés.
Le dividende démographique — défini comme l’accélération de la croissance économique liée à l’augmentation du ratio de la population active par rapport à la population dépendante — représente une opportunité unique pour l’Afrique. Toutefois, pour transformer ce potentiel en réalité, un levier essentiel doit être activé : l’éducation.
L’éducation : un pilier de la transformation
L’éducation ne se limite pas à la formation des individus ; elle constitue également le fondement de sociétés productives et stables. Des études montrent qu’une année supplémentaire de scolarité peut accroître les revenus de 10 % et réduire les risques de pauvreté. L’éducation joue aussi un rôle crucial dans l’amélioration des capacités d’adaptation des individus aux changements rapides du marché du travail, notamment ceux induits par les avancées technologiques.
L’accès à l’éducation pour les jeunes filles est particulièrement déterminant. Il favorise leur participation à la vie économique, sociale et politique tout en contribuant à leur autonomisation et à la réduction des inégalités. Cet accès influence également positivement la dynamique démographique en permettant aux femmes de prendre des décisions éclairées concernant leur avenir familial et professionnel.
Malgré ces avantages, les systèmes éducatifs africains sont confrontés à d’importants défis structurels, limitant leur capacité à répondre aux besoins croissants d’une population jeune et en expansion rapide. Ces défis se situent à deux niveaux : l’offre éducative et la demande scolaire.
- Sur le plan de l’offre, les systèmes souffrent d’infrastructures insuffisantes, de classes surchargées, de programmes souvent mal alignés avec les réalités économiques locales et d’une pénurie criante d’enseignants qualifiés. Les conflits, les crises sociales et l’instabilité politique perturbent aussi les calendriers scolaires et limitent l’accès à l’éducation dans certaines régions.
- Sur le plan de la demande, plusieurs facteurs sociaux et économiques entravent l’accès à l’éducation. La pauvreté joue un rôle déterminant : pour de nombreuses familles en situation de précarité, la scolarisation des enfants représente un coût direct (frais de scolarité, uniformes, fournitures) ou indirect (perte de revenu due au travail des enfants). Ces contraintes financières conduisent parfois les parents à privilégier des gains immédiats, comme l’envoi des enfants au travail, au détriment des bénéfices à long terme de l’éducation — une problématique plus large connue sous le nom d’incohérence temporelle. Par ailleurs, des barrières sociales et culturelles aggravent cette situation. Certains parents, notamment dans certaines communautés, restent réticents à scolariser leurs enfants — en particulier les filles — en raison de normes de genre persistantes. Les taux élevés d’abandon scolaire, notamment en milieu rural, illustrent également ces défis.
Cependant, des solutions émergent pour renforcer les systèmes éducatifs africains et rendre l’éducation plus accessible et pertinente, notamment dans un contexte de croissance démographique rapide. Parmi celles-ci, quatre approches majeures méritent une attention particulière.
Approche 1 : transformer l’éducation par l’investissement stratégique
Face aux défis structurels et sociaux de l’éducation, les États africains doivent mettre en place des politiques ambitieuses et mobiliser des ressources suffisantes pour garantir un accès équitable à une éducation de qualité. Selon l’UNESCO, chaque pays devrait allouer entre 4 % et 6 % de son PIB à l’éducation. Cependant, depuis 2012, les dépenses éducatives en Afrique stagnent à une moyenne de 3,7 % du PIB, avec des disparités régionales importantes : l’Afrique australe se distingue avec un investissement médian de 6,6 % du PIB, tandis que l’Afrique centrale est à la traîne avec seulement 2,9 %. L’Afrique de l’Est, du Nord et de l’Ouest consacrent respectivement 3,3 %, 3,9 % et 3,5 %.
Les régions qui investissent le moins dans l’éducation connaissent souvent une forte croissance démographique, ce qui risque de perpétuer un cercle vicieux. Un sous-financement chronique limite la capacité des systèmes éducatifs à répondre aux besoins croissants d’une population jeune, tandis que la pression démographique aggrave ces déficits budgétaires.
Bien que ce sujet relève principalement de la gouvernance, de nouvelles solutions, comme des mécanismes de financement innovants de l’éducation, doivent être envisagées.
Ces mécanismes ont le potentiel non seulement d’accroître les ressources disponibles, mais aussi d’en assurer une allocation plus efficace et plus équitable. À long terme, de telles approches pourraient transformer les perspectives de développement humain, économique et social en favorisant l’émergence d’une main-d’œuvre qualifiée et en réduisant les inégalités.
Un exemple concret d’un tel mécanisme est le programme Debt2Ed.
Le Programme Debt2Ed
Le programme Debt2Ed, mis en œuvre en Côte d’Ivoire, illustre une approche novatrice de conversion de la dette en financement du développement. Soutenu par le Groupe de la Banque mondiale et facilité grâce à une collaboration avec le gouvernement français, cette initiative permet à la Côte d’Ivoire de réaffecter des fonds initialement destinés au remboursement de la dette à des projets éducatifs. Concrètement, le programme remplace une dette existante coûteuse par un prêt à des conditions plus favorables.
Grâce à cette initiative, plus de 70 millions d’euros d’économies seront réinvestis dans la construction de plus de 30 écoles et divers programmes éducatifs, offrant ainsi de nouvelles opportunités à 30 000 élèves supplémentaires. En réduisant la pression budgétaire tout en améliorant l’accès à l’éducation, le programme répond à des enjeux cruciaux comme le faible taux de scolarisation préscolaire et les inégalités marquées entre les zones urbaines et rurales.
Le programme Debt2Ed illustre le potentiel transformateur du financement innovant pour combler les lacunes éducatives et promouvoir un développement durable en Afrique.
Approche 2 : intégrer la culture et la langue pour améliorer l’apprentissage
L’adaptation des contenus éducatifs aux réalités culturelles et locales est essentielle pour garantir une appropriation efficace des savoirs. Une éducation interculturelle et contextuelle renforce l’engagement des élèves et améliore la réussite scolaire en intégrant des éléments de leur environnement quotidien dans le processus d’apprentissage.
Un exemple inspirant est le Sénégal, où l’introduction du wolof dans les programmes scolaires a considérablement amélioré les performances des élèves. En apprenant dans une langue qu’ils maîtrisent dès leur plus jeune âge, les élèves sont plus engagés et comprennent mieux les sujets enseignés. Cette approche favorise une éducation plus inclusive et pertinente, valorisant les identités culturelles locales tout en développant des compétences universelles.
Ainsi, une éducation interculturelle et contextualisée permet de répondre au décalage souvent observé entre les contenus éducatifs et la réalité des élèves. Elle ouvre la voie à une scolarisation plus efficace, capable de réduire les taux d’abandon scolaire et d’accroître l’impact de l’apprentissage sur le développement local.
Approche 3 : exploiter la technologie pour une éducation inclusive
Les technologies éducatives offrent une opportunité unique pour pallier les insuffisances structurelles des systèmes éducatifs africains, confrontés à un manque de personnel qualifié, d’infrastructures adéquates et à des disparités géographiques. Les outils numériques, les plateformes innovantes et l’apprentissage à distance constituent des solutions concrètes pour démocratiser l’accès à l’éducation et améliorer sa qualité.
Un exemple inspirant est Ubongo, une entreprise sociale basée en Tanzanie. À travers des programmes éducatifs tels que Ubongo Kids et Akili and Me, diffusés à la télévision et à la radio, Ubongo touche des millions d’enfants, y compris dans les communautés défavorisées. Ces émissions enseignent les mathématiques, les sciences et les compétences de vie en plusieurs langues locales. En combinant du contenu éducatif engageant et accessible, Ubongo surmonte les barrières linguistiques et permet aux enfants vivant dans des régions reculées — où les écoles sont rares voire inexistantes — d’accéder à une éducation de qualité.
Les technologies numériques facilitent également la formation continue des enseignants en leur fournissant des ressources pédagogiques modernes et adaptées, sans nécessiter de déplacements coûteux. Cette approche améliore la qualité de l’enseignement en introduisant de nouvelles méthodes pédagogiques (comme l’apprentissage par le jeu et le suivi personnalisé) et en facilitant l’échange des meilleures pratiques entre éducateurs.
Toutefois, pour maximiser le potentiel de ces initiatives, il est essentiel de prendre en compte les contraintes locales, notamment l’accès à l’électricité, la couverture Internet et la formation technique nécessaire à l’utilisation de ces outils.
Approche 4 : la formation professionnelle, clé d’un marché du travail dynamique
Dans un marché africain où le secteur informel représente près de 90 % de l’activité économique et où la majorité de la main-d’œuvre est jeune, l’enseignement et la formation techniques et professionnels (EFTP) apparaissent comme un moteur essentiel du développement socio-économique. En dotant les jeunes — y compris les femmes et les communautés rurales — de compétences pratiques directement applicables, l’EFTP répond aux besoins évolutifs du marché du travail.
Contrairement aux parcours d’enseignement général souvent longs et inaccessibles aux populations défavorisées, les programmes d’EFTP offrent une seconde chance à ceux qui ont quitté le système scolaire ou qui n’ont pas eu accès à une éducation traditionnelle. Ils favorisent une plus grande inclusion sociale en intégrant des approches adaptées aux réalités locales, réduisant ainsi les inégalités d’accès et multipliant les opportunités d’apprentissage.
À travers sa stratégie Vision 2030, le Maroc a aligné ses programmes d’EFTP sur les besoins de son industrie automobile, ce qui a permis d’augmenter la production, les exportations et l’emploi. En travaillant en étroite collaboration avec le secteur privé, le pays a développé une main-d’œuvre qualifiée qui a contribué à faire de l’industrie automobile le premier secteur exportateur et manufacturier d’Afrique. Entre 2014 et 2019, plus de 147 712 emplois ont été créés dans ce secteur, générant un chiffre d’affaires de 7 milliards d’euros en 2021
Le plein potentiel de l’EFTP en Afrique ne pourra cependant être réalisé sans une collaboration renforcée. Les gouvernements, le secteur privé, les agences de développement et la société civile doivent unir leurs forces pour financer, moderniser et étendre ces programmes. Comme Angora A. le souligne dans son ouvrage TVET as a Cornerstone for Industrial Development in Africa, l’EFTP peut jouer un rôle clé dans la renaissance industrielle du continent.
D’ici 2050, la population africaine dépassera un quart de la population mondiale, constituant un immense réservoir de talents et d’énergie. L’éducation est la clé pour transformer cette population en expansion en un moteur durable de développement. Bien que les défis — des infrastructures insuffisantes aux barrières culturelles — soient réels, le dynamisme de la jeunesse africaine peut être exploité grâce à des investissements ciblés, un enseignement adapté aux contextes culturels, des solutions technologiques et une formation professionnelle alignée sur le marché du travail.
Les gouvernements, les entreprises, les organisations à but non lucratif et les partenaires internationaux partagent la responsabilité de garantir à chaque enfant et jeune adulte africain un accès à une éducation de qualité. En saisissant dès maintenant cette opportunité démographique, l’Afrique peut poser les bases d’un avenir prospère.
Ces solutions prendront-elles forme d’ici 2050 ou bien ce potentiel inexploité se transformera-t-il en tensions sociales et économiques ? Le choix dépend des actions mises en œuvre dès aujourd’hui
Sources et Références
- Benissan Barrigah, African PACT (mai 2024). Preparing the Next Generation: Education and Jobs Key to Unlocking Africa’s Demographic Potential. Disponible sur : https://africanpact.org/2024/05/06/preparing-the-next-generation-education-and-jobs-key-to-unlocking-africas-demographic-potential/
- Angora Aman (septembre 2023). TVET as a Cornerstone for Industrial Development in Africa. Disponible sur : https://africanpact.org/2023/09/11/tvet-as-a-cornerstone-for-industrial-development-in-africa/
- Diouf, P. B. (2019). Innovations pédagogiques pour l’intégration des langues nationales africaines dans l’éducation : quel état des lieux au Sénégal ?
- Population Reference Bureau (PRB), International Programs: Southern Africa.
- UNESCO Institute for Statistics (2024). Global Education Data Release et Brand-New Knowledge Products.
- Statista. Fertility Rate in Sub-Saharan Africa.
- Global Partnership for Education. Debt2Ed Initiative.
- Banque mondiale. Africa’s Demographic Transition: Dividend or Disaster?
- Bloom, David E., et al. (1989). Population Dynamics and Economic Growth in Africa. The Quarterly Journal of Economics, vol. 104, no. 3, pp. 443–478.
- Le Monde (4 octobre 2024). Au Sénégal, les nouvelles autorités font le choix de l’enseignement dans les langues nationales.
- World Bank Document. A Guide to Financing Education in Africa.
- Canning, David et Raja, Siddharth (2016). Africa’s Demographic Transition: Dividend or Disaster.ResearchGate.
- Ubongo. Impact sur les innovations éducatives en Afrique.
- UNESCO GEM Report (2023). Aperçu du financement de l’éducation dans le monde après la COVID-19.
- World Bank Africa Education Financing Watch (2023). Édition spécifique à l’Afrique du Education Financing Watch.
- World Bank Group. Reshaping Debt Management: Insights on reshaping debt management to invest in human capital.
- UNESCO. Making Education Financing Go Further: Disrupting the status quo in education financing.
- World Bank Data on Education Expenditure. Indicateur sur les dépenses totales d’éducation en pourcentage du PIB.