L’or à des niveaux records : la place de l’Afrique dans cette envolée

Le prix de l’or a franchi la barre des 4 000 dollars l’once, un jalon sans précédent dans les marchés modernes. Cette envolée reflète une incertitude mondiale croissante : inflation persistante, tensions géopolitiques et perte de confiance dans les monnaies fiduciaires.

Les banques centrales de Chine, de Russie, d’Inde et d’autres économies non occidentales augmentent leurs réserves non seulement comme couverture contre la volatilité, mais aussi pour renforcer leur autonomie monétaire et réduire leur dépendance au dollar. Parallèlement, les investisseurs du monde entier se ruent sur l’or comme valeur refuge, réaffirmant le rôle du métal comme réserve de valeur et couverture stratégique dans le système financier mondial.

Cette envolée renforce un schéma bien connu : le pouvoir appartient moins aux producteurs qu’aux centres et institutions qui fixent les règles du commerce. La Suisse, les Émirats arabes unis et la Chine dominent les marchés du raffinage et des lingots, capturant les marges liées à la transformation de l’or brut en valeur certifiée. Les grandes sociétés minières cotées à Toronto, Londres et New York enregistrent des hausses spectaculaires de leurs cours, une expansion de leurs dividendes et des afflux constants de capitaux.

Les marchés financiers ont eux aussi saisi l’opportunité. Les fonds spéculatifs, les investisseurs institutionnels et les particuliers alimentent les flux dans les ETF, les contrats à terme et les produits dérivés, profitant de la volatilité sans jamais toucher un lingot physique. Les acteurs du côté de la demande en bénéficient également : le secteur de la joaillerie en Inde, les marchés de consommation asiatiques, ainsi que les entreprises de logistique et d’assurance qui assurent la circulation du métal à travers les frontières profitent tous de ces prix élevés, soulignant le double rôle de l’or en tant qu’instrument financier et bien culturel.

Ce qui soulève une question évidente : lorsque l’or s’envole, la part de l’Afrique augmente-t-elle avec lui, ou les véritables profits continuent-ils de s’échapper ailleurs ?

Que gagnent les producteurs africains de cette envolée ?

L’Afrique contribue de manière significative à la production mondiale d’or, avec le Ghana, l’Afrique du Sud, le Mali et le Soudan parmi les producteurs les plus prolifiques. En théorie, des prix records devraient se traduire par des recettes d’exportation, des revenus fiscaux et des réserves de change plus solides.

Certains États en tirent des bénéfices à court terme : le Ghana continue d’attirer les investissements étrangers et l’Afrique du Sud dépend des exportations d’or pour obtenir des devises vitales.

En pratique, cependant, les gains restent minimes. La plupart de l’or africain quitte le continent sans être raffiné, les véritables profits étant captés à l’étranger via le traitement, la certification et le commerce. L’exploitation minière artisanale et à petite échelle (ASM), qui fait vivre des millions de personnes, demeure largement informelle et faiblement réglementée. Le résultat : une vaste économie souterraine. On estime qu’environ 30 milliards de dollars d’or quittent le continent illégalement chaque année, les prix élevés alimentant davantage les réseaux de contrebande que les recettes publiques ou le développement local.

Les lacunes en matière de gouvernance aggravent le problème. Les codes miniers et les régimes fiscaux accusent souvent un retard sur les dynamiques du marché, créant une incertitude pour les investisseurs et une protection limitée pour les communautés. Trop souvent, les politiques échouent à transformer l’extraction en croissance inclusive. Sur le terrain, les régions minières ne voient guère plus que les coûts environnementaux, tandis que les infrastructures promises et le partage des revenus restent illusoires.

Qu’il s’agisse du niveau national, régional ou continental, l’alignement des politiques minières sur les objectifs de développement à long terme reste incomplet. La dépendance aux exportations brutes, combinée à un faible investissement dans le raffinage et la création de valeur, continue d’exposer les économies africaines à la volatilité et à la dépendance extérieure.

Perspectives : stratégie et souveraineté

Le fonds souverain du Botswana, fondé sur les revenus du diamant, illustre une prise de conscience croissante : les ressources africaines doivent être gérées comme des actifs stratégiques, et non comme de simples marchandises d’exportation. À travers le continent, les gouvernements commencent à considérer l’or et les minéraux critiques comme des instruments de souveraineté et de politique industrielle.

Cette réorientation s’inscrit dans un contexte mondial marqué par l’inflation, la fragilité monétaire et la perte de confiance dans les systèmes fiduciaires. Pour l’Afrique, le défi est encore plus aigu : des monnaies nationales faibles, une dette libellée en dollars et des transactions de change coûteuses effacent une grande partie de la valeur des exportations. Alors que les banques centrales ailleurs se diversifient hors du dollar, la dépendance structurelle de l’Afrique à son égard reste une vulnérabilité majeure, faisant des stratégies adossées aux ressources un bouclier contre la fragilité financière.

Les producteurs sont donc confrontés à un choix stratégique : rester exportateurs de minerai brut ou se repositionner en architectes du développement à long terme. Cela exige plus que des réformes progressives. Les contrats doivent être renégociés, le contenu local appliqué, et l’exploitation minière intégrée dans des stratégies industrielles plus larges.

Le capital humain sera décisif. La population africaine devrait doubler d’ici 2050, avec des centaines de millions de nouveaux entrants sur le marché du travail. Cette vague démographique peut devenir un moteur de prospérité si elle s’accompagne d’investissements dans l’éducation, la formation technique et l’innovation. Une main-d’œuvre qualifiée permettrait au continent non seulement d’extraire les minéraux, mais aussi de les raffiner, de les transformer et de concevoir les technologies qui alimentent l’économie verte mondiale. Sans ce lien, le boom démographique risque de devenir un fardeau plutôt qu’un atout.

La vision à long terme doit être plus ambitieuse que la simple capture de marges. D’ici 2040 ou 2050, la richesse minérale devrait soutenir des économies diversifiées avec des industries compétitives dans l’énergie, la technologie et la fabrication avancée. L’or et les minéraux critiques peuvent devenir l’épine dorsale de fonds souverains, de marchés financiers régionaux et même de monnaies adossées aux ressources, réduisant la dépendance au dollar. Si elles sont guidées stratégiquement, les dynamiques actuelles du marché pourraient poser les fondations d’un siècle africain fondé sur la puissance industrielle et la souveraineté économique.

L’impact s’étendra à tout le continent, pas seulement aux États producteurs. Les économies non minières sont intégrées dans le même marché régional : à travers le commerce, les infrastructures et les monnaies partagées, elles subissent elles aussi les chocs liés à la volatilité des prix et aux tensions monétaires. Une approche continentale, soutenue par des chaînes de valeur régionales et une négociation collective, peut garantir que la richesse minérale bénéficie à l’Afrique dans son ensemble plutôt que d’accentuer les divisions entre producteurs et non-producteurs.

La richesse minérale ne garantit pas automatiquement la souveraineté ou le développement. Mais elle en fournit la matière première, à condition d’être guidée par l’ambition, la coordination et la volonté politique. L’opportunité est réelle. Le choix appartient à l’Afrique.


Références

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