Les premiers wagons chargés de minerai ont entamé leur descente depuis les montagnes du sud de la Guinée, transportant du minerai de fer de qualité premium issu de la mine tant attendue de Simandou. Après plus d’une décennie de litiges, d’appels d’offres bloqués et de retards dans les infrastructures, le projet entre dans sa phase opérationnelle. C’est un moment décisif pour la République de Guinée et un tournant important dans le rôle de l’Afrique au sein de l’industrie mondiale de l’acier.
Lors de l’inauguration officielle au port de Morebaya, le président Mamadi Doumbouya était aux côtés de hauts responsables gouvernementaux et de plusieurs chefs d’État invités. Le message était clair : après des années d’incertitude, Simandou n’est plus une promesse lointaine mais une entreprise industrielle fonctionnelle.

Au cœur du sud-est forestier de la Guinée, la chaîne du Simandou abrite l’un des plus grands gisements restants de minerai de fer à haute teneur : environ 3,3 milliards de tonnes d’une teneur moyenne de 65 % Fe. Pour un pays qui domine déjà les exportations mondiales de bauxite, Simandou représente une opportunité de dépasser l’extraction en vrac et de se positionner comme un fournisseur stratégique pour une industrie de l’acier de plus en plus tournée vers des intrants bas carbone et haute efficacité.
Le minerai à haute teneur est devenu essentiel pour réduire les émissions dans la sidérurgie, et sa rareté rend l’entrée en production de Simandou particulièrement significative. Le projet pourrait rééquilibrer un marché historiquement dominé par l’Australie et le Brésil, en ajoutant un troisième pôle majeur d’approvisionnement à long terme.
Au cœur du projet, Simandou est un mégaprojet porté par le secteur privé, avec l’un des plus importants volumes d’investissement du continent. Le système intégré mine–rail–port — estimé à environ 20–23 milliards de dollars américains — reflète l’ampleur du défi consistant à transporter du minerai de fer à travers l’intérieur montagneux de la Guinée jusqu’à la côte atlantique.
Le gisement est divisé en deux blocs de développement :
Simandou Sud (Blocs 3 & 4), dirigé par Rio Tinto, en partenariat avec Chalco (Chinalco) et l’État guinéen.
Simandou Nord (Blocs 1 & 2), opéré par le Winning Consortium Simandou (WCS) — un partenariat sino-singapourien associant Winning International Group, Shandong Weiqiao / China Hongqiao et Yantai Port Group.

Les deux groupes opèrent de manière indépendante mais s’appuient sur une infrastructure ferroviaire lourde et un port en eau profonde partagés, réunis au sein de la Compagnie du TransGuinéen (CTG). Co-détenue par les deux consortiums et l’État guinéen, la CTG constitue l’épine dorsale logistique de tout le corridor et représente l’un des volets d’ingénierie les plus complexes du projet.
Les rapports de Rio Tinto estiment à environ 1,5 milliard de tonnes les réserves prouvées et probables dans les blocs sud, avec une teneur d’environ 65 % Fe, un niveau exceptionnellement élevé qui renforce la pertinence mondiale de Simandou. Les blocs nord sont également riches, bien que rapportés différemment selon les opérateurs.
L’État guinéen détient 15 % d’intérêt « free-carried » dans chaque société minière et dans la société de projet des infrastructures. Cela lui confère une participation, une représentation au conseil et de futurs dividendes, sans obligations financières initiales. Le contrôle opérationnel et le risque en capital reposent principalement sur les opérateurs privés. La structure combine les standards miniers occidentaux avec une forte intégration industrielle chinoise et des engagements d’offtake à long terme, tout en permettant à l’État d’aligner le projet sur ses priorités nationales.
Pour la Guinée, l’impact macroéconomique pourrait être majeur. Les projections du FMI indiquent que Simandou pourrait augmenter le PIB d’environ 26 % d’ici 2030, porté par les volumes d’exportation, les flux de capitaux et l’activité logistique sur le corridor. Les 650 km de voie ferrée et le nouveau port ouvrent des perspectives pour l’agriculture, le commerce transfrontalier et les chaînes de valeur régionales. Les producteurs de la région forestière pourraient accéder à de nouveaux marchés ; les économies frontalières du Liberia et de la Sierra Leone pourraient en bénéficier indirectement ; et de nouveaux pôles de croissance pourraient émerger le long du corridor.
Les recettes fiscales devraient croître de manière significative. Les estimations suggèrent que Simandou pourrait représenter environ 3,4 % du PIB annuel durant les années 2030. Mais la question centrale du développement demeure : comment ces recettes se traduiront-elles en progrès social mesurable plutôt qu’en simple augmentation de l’enveloppe budgétaire ?
À cette fin, la Guinée a annoncé le Fonds de Richesse Simandou, son premier fonds souverain, doté d’environ 1 milliard de dollars et dont le lancement est prévu pour 2026. Sa mission est de canaliser les revenus miniers vers des investissements à long terme dans l’éducation, les infrastructures, l’agriculture et l’industrie — constituant le pilier de la stratégie Simandou 2040. Des initiatives comparables, comme au Botswana, s’inscrivent dans une tendance plus large des pays exportateurs de ressources à institutionnaliser des mécanismes d’épargne et de stabilisation à long terme.
« Nous mettrons de côté une part de toutes les recettes pour le fonds souverain afin de nous aider à lever davantage de capitaux et à réaliser de nouveaux investissements », aurait déclaré le ministre Nabé.
La feuille de route Simandou 2040 décrit un programme de transformation incluant la production d’acier en aval et de produits semi-finis, l’expansion des systèmes logistiques, énergétiques et hydriques, l’investissement dans la formation professionnelle et universitaire, les mesures environnementales et de résilience climatique, ainsi que l’intégration des chaînes de valeur régionales dans le cadre de la ZLECAf.
En somme, Simandou est envisagé comme l’ossature du futur appareil industriel guinéen — une occasion rare de convertir l’abondance minérale en développement à large assise, à condition que la gouvernance demeure rigoureuse et l’exécution constante.
Point d’inflexion ou cycle répété ?
Simandou arrive dans un pays qui connaît déjà les limites des booms miniers. La Guinée est devenue le premier exportateur mondial de bauxite, mais reste l’un des pays les plus pauvres et les plus fragiles politiquement au monde. Des décennies d’extraction à grande échelle n’ont pas conduit à une prospérité partagée, à une diversification productive ou à des institutions résilientes. Cette expérience plane sur Simandou : le minerai est différent, mais l’épreuve de gouvernance reste la même.
Pourtant, l’échelle, l’intégration et le calendrier du projet lui confèrent un caractère qualitativement distinct. Une infrastructure ferroviaire et portuaire partagée, un fonds dédié à la richesse nationale et une feuille de route de long terme offrent des outils politiques qui n’existaient pas lors de l’essor de la bauxite. Si ces mécanismes fonctionnent comme prévu, Simandou pourrait rompre le cycle guinéen de faible captation de valeur et soutenir une utilisation plus développementale de la richesse minière.
Mais rien n’est automatique. Pour éviter qu’un gisement de classe mondiale ne devienne une nouvelle occasion manquée, la Guinée devra renforcer ses institutions, assurer une gestion transparente des revenus, adopter des règles budgétaires crédibles et construire un contrat social garantissant que les communautés ressentent directement les bénéfices. Les investissements miniers et infrastructurels doivent se traduire par des emplois, des formations et des liens économiques durables au-delà des enclaves extractives. Dans un pays où la population en âge de travailler augmente rapidement, les résultats à long terme dépendront de la capacité de ces investissements à générer de l’emploi, une participation des PME et la croissance de chaînes de valeur nationales et régionales. Une plus grande inclusion des entreprises guinéennes et ouest-africaines dans la chaîne de valeur est essentielle pour transformer le dynamisme démographique en véritable opportunité économique.
Pour les investisseurs, décideurs et institutions financières de développement, les maîtres mots restent : transparence, création de valeur locale, effets d’entraînement des infrastructures, investissement dans le capital humain et discipline de gouvernance à long terme.
Dans cette perspective, Simandou doit être compris non comme une garantie de transformation, mais comme un rare point d’inflexion. Il offre à la Guinée la possibilité de transformer l’abondance minérale en gains économiques durables, tout en donnant à l’Afrique une place plus visible sur la carte mondiale du minerai de fer. Que le projet devienne une référence en matière de gestion efficace des ressources ou un nouvel exemple d’extraction à fort volume mais à faible dividende dépendra moins de la qualité du minerai que de celle des institutions chargées de le gouverner.
Références (consultées en novembre 2025)
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