Depuis plus d’une décennie, la Côte d’Ivoire est l’une des économies les plus résilientes et à la croissance la plus rapide d’Afrique de l’Ouest, portée par la reconstruction post-crise, l’investissement dans les infrastructures et une base d’exportations diversifiée reposant sur le cacao, la noix de cajou et les services.
Aujourd’hui, le gouvernement poursuit une ambition d’une ampleur sans précédent : transformer le premier producteur mondial de cacao en l’une des cinq principales puissances pétrolières et gazières d’Afrique d’ici 2035, avec une production pétrolière projetée à 500 000 barils par jour et une production de gaz naturel atteignant 1 million de pieds cubes par jour. Si elle se réalise, cette ambition constituerait l’un des virages énergétiques les plus significatifs du continent, faisant passer la Côte d’Ivoire d’une puissance agricole à un pôle intégré d’hydrocarbures et d’industries.
La question centrale demeure : la Côte d’Ivoire peut-elle convertir cette nouvelle richesse énergétique en un développement inclusif et durable ?
Du champ Baleine à 500 000 barils : une nouvelle dynamique
La confiance du pays repose sur d’importantes découvertes offshore, dominées par le champ Baleine opéré par Eni. Identifié en 2021 sur les blocs CI-101 et CI-802, Baleine représente la plus grande découverte d’hydrocarbures de l’histoire ivoirienne, avec des ressources estimées à 2,5 milliards de barils de pétrole et 3,3 trillions de pieds cubes de gaz associé. La production a débuté en 2023, faisant de Baleine l’un des projets en amont les plus rapides d’Afrique de l’Ouest.
Le portefeuille amont s’élargit désormais. D’autres prospects tels que Calao, ainsi que l’intérêt de Vaalco Energy, Petrobras et de la compagnie pétrolière nationale Petroci, devraient faire grimper la production à environ 200 000 barils par jour d’ici 2027-2028. Le gouvernement considère ces avancées comme la base permettant d’atteindre son objectif de 500 000 barils par jour en 2035, un seuil qui positionnerait la Côte d’Ivoire parmi les principaux producteurs africains.
Ce changement stratégique répond également à la nécessité de diversifier l’économie au-delà du cacao, de réduire l’exposition aux risques liés aux matières premières et de sécuriser une énergie fiable pour l’industrialisation. Le gaz, déjà un pilier central du mix électrique national, pourrait jouer un rôle clé dans le renforcement de la sécurité énergétique et potentiellement permettre des exportations régionales, si les infrastructures et la demande suivent.

La question du développement
Au-delà des barils : ce qui déterminera réellement l’issue
L’histoire récente de l’Afrique offre deux leçons opposées :
- L’expérience Jubilee du Ghana a mis en évidence les risques liés à des règles fiscales insuffisantes.
- Le Botswana a démontré qu’une discipline institutionnelle et une épargne de long terme peuvent transformer une richesse en ressources naturelles en progrès national.
La Côte d’Ivoire se situe entre ces deux modèles : plus solide que de nombreux pairs, mais pas totalement à l’abri des risques de gouvernance.
Trois conditions structurelles façonneront sa trajectoire.
Condition 1 : Gouvernance des revenus et épargne souveraine
La Côte d’Ivoire entre dans l’ère des hydrocarbures avec une gestion macroéconomique améliorée, mais des marges budgétaires limitées. Le programme 2025-2030 du président Ouattara prévoit la création d’un fonds souverain destiné à lisser les revenus, constituer une épargne de long terme et soutenir des secteurs stratégiques.
Pour que ce mécanisme assure la stabilité, il devra fonctionner selon des règles claires de dépôts et retraits, une supervision indépendante et une transparence totale. Bien gouverné, il peut aider le pays à éviter les cycles d’expansion et de récession qui ont fragilisé plusieurs producteurs africains.
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Condition 2 : Le gaz domestique comme levier industriel stratégique
À la différence du pétrole brut, principalement exporté, le gaz naturel peut remodeler en profondeur les systèmes de production nationaux. Alimentant déjà plus de 70 % du mix électrique, une hausse de l’offre pourrait soutenir l’expansion des zones industrielles, l’agro-industrie, la production d’engrais, la pétrochimie, la logistique et les exportations régionales d’électricité.
Cette stratégie intégrée gaz-industrie reflète les approches réussies de l’Égypte et, dans une certaine mesure, de l’Algérie. Bien coordonnée, elle pourrait devenir l’épine dorsale d’une économie plus diversifiée et compétitive.
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Condition 3 : Contenu local et transformation de la main-d’œuvre
Le facteur décisif de l’ambition 2035 repose sur la capacité à former une main-d’œuvre qualifiée et une chaîne d’approvisionnement réellement nationale. Le cadre de contenu local, fondé sur la loi 2022-408 et ses décrets d’application, impose aux opérateurs d’employer davantage de nationaux, de développer des fournisseurs locaux et d’investir directement dans la formation et la certification. Une plateforme numérique de conformité renforce la transparence, tandis que des institutions comme l’École supérieure du pétrole et de l’énergie (ESPE – INPHB) contribuent à fournir les talents en ingénierie nécessaires.
La démographie amplifie les enjeux. Avec plus de 60 % de la population âgée de moins de 25 ans, le secteur des hydrocarbures peut offrir des emplois techniques de qualité — mais seulement si les systèmes de formation se développent rapidement et restent inclusifs. L’augmentation des inégalités internes ajoute une dimension critique. Sans mécanismes d’inclusion, les bénéfices du pétrole et du gaz risquent de se concentrer entre quelques entreprises, intermédiaires et élites, accentuant les fractures socio-économiques alors que les attentes des jeunes montent. Garantir que le contenu local profite aux jeunes Ivoiriens de toutes les régions, de tous les niveaux d’éducation et de toutes les catégories sociales est essentiel pour l’équité économique comme pour la stabilité sociale et politique à long terme.
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Une ambition fondée sur les institutions
L’ambition énergétique de la Côte d’Ivoire pour 2035 constitue avant tout un test de discipline institutionnelle. Le pétrole et le gaz peuvent élargir l’espace budgétaire, accélérer l’industrialisation et renforcer le leadership régional, mais leur impact transformateur dépendra de la qualité de la gouvernance, de l’usage stratégique du gaz et de l’intégration réelle des Ivoiriens dans le secteur.
La décennie à venir déterminera la voie que suivra le pays.
Références
- APA News. (2 octobre 2025). Côte d’Ivoire : Ouattara promet de créer un fonds souverain. APA News.
- World Oil. (20 juin 2025). Ivory Coast sets ambitious targets to boost oil production by 2035. World Oil.
- Bloomberg. (26 novembre 2025). Ivory Coast sees oil, gas spurring growth in next five years. Bloomberg.