Concevoir l’avenir financier de l’Afrique : la stratégie de la BAD pour bâtir des marchés à la hauteur de sa démographie

L’Afrique entre dans une décennie qui définira sa trajectoire économique pour le reste du siècle. La combinaison de la hausse des taux d’intérêt mondiaux, de l’augmentation de la volatilité climatique, de la fragmentation géoéconomique et d’une population en forte croissance redessine les enjeux du développement du continent. Pourtant, sous ces pressions se cache une opportunité majeure : l’Afrique peut passer du statut de simple emprunteur dans le système financier mondial à celui d’architecte actif de sa propre formation de capital. Dans un monde où la distribution du pouvoir suit de plus en plus la distribution du capital, ce changement est décisif.

C’est cet horizon stratégique qui guide les récents engagements de la Banque africaine de développement sous la direction de son Directeur exécutif, Sidi Ould Tah, et dans le cadre de sa Stratégie décennale. L’ambition est claire : l’Afrique a besoin de marchés plus profonds, d’institutions financières plus solides et d’une architecture plus cohérente pour mobiliser, allouer et coordonner le capital. Et elle en a besoin maintenant. D’ici 2050, la population du continent dépassera 2,5 milliards d’habitants, dont près de 60 % auront moins de 25 ans. Jamais une région dans l’histoire n’a fait face à une telle poussée démographique sans avoir préalablement construit les fondations financières nécessaires pour l’absorber.

Dans ce cadre, le Groupe de la Banque africaine de développement (BAD) a lancé deux initiatives majeures visant à transformer l’avenir financier du continent : le renforcement des marchés de capitaux africains et la création d’une plateforme panafricaine de coordination de la finance du développement. Ensemble, elles répondent aux deux piliers manquants de l’architecture financière africaine : des marchés fonctionnels et une cohérence institutionnelle.


Reconfigurer les marchés de capitaux africains

Lors d’un récent forum de haut niveau, le Groupe de la BAD a réuni une coalition stratégique de bourses, de régulateurs, d’institutions de financement du développement, de banques centrales et d’investisseurs institutionnels pour repenser les marchés de capitaux africains comme un pilier central de la transformation économique.

La stratégie de la BAD en matière de marchés de capitaux part d’un constat simple : l’Afrique détient déjà un capital important, mais ses systèmes financiers ne le convertissent pas encore en développement. Les actifs africains des fonds de pension et des assurances sont estimés à plus de 770 milliards USD, mais beaucoup restent concentrés dans des instruments de court terme ou des obligations souveraines plutôt que dans des investissements productifs de long terme. L’épargne des ménages augmente également avec la croissance des classes moyennes, mais ces ressources sont sous-exploitées et souvent détenues à l’étranger.

Pour changer cela, la Banque déploie un ensemble d’outils de renforcement des marchés et d’instruments catalytiques. Elle développe les marchés obligataires en monnaie locale pour réduire les risques de change, modernise les cadres réglementaires afin de renforcer la transparence et accélère l’intégration régionale en réunissant bourses et régulateurs pour améliorer la visibilité transfrontalière, la liquidité et l’accès pour les émetteurs. Des innovations récentes — telles que l’émission d’instruments hybrides de la BAD, les garanties partielles de crédit ou encore le soutien à la titrisation — visent à attirer les investisseurs institutionnels en améliorant les rendements ajustés au risque. Le Fonds obligataire domestique africain contribue à établir une courbe de taux plus fiable. Et la Banque encourage un usage accru d’instruments en fonds propres et structurés adaptés aux PME, qui restent le cœur de la création d’emplois.

Le président de la BAD, Dr Sidi Ould Tah, rencontre les dirigeants des bourses africaines. Abidjan, le 18 novembre 2025.

La logique est simple : des marchés plus profonds et plus liquides réduisent le coût du capital, diversifient les options de financement, attirent les investisseurs mondiaux et offrent aux institutions domestiques des actifs crédibles de long terme. Les marchés de capitaux deviennent ainsi une infrastructure de développement au même titre que les routes, les ports ou les réseaux énergétiques.


Une plateforme panafricaine pour la coordination

Le capital ne suffit pas. Le deuxième défi structurel de l’Afrique est la fragmentation. Trop de grands projets — des corridors de transport aux systèmes d’énergie renouvelable — sont préparés en silos, financés par des canaux parallèles et exécutés selon des calendriers désalignés. Cela réduit la valeur, retarde la montée en échelle et affaiblit la confiance des investisseurs.

La nouvelle Plateforme panafricaine de coordination financière de la BAD vise à corriger cela. Elle sert d’interface continentale où gouvernements, institutions financières de développement, investisseurs privés et agences techniques peuvent aligner les flux de financement, partager des données sur les projets, coordonner les étapes de mise en œuvre et harmoniser les normes techniques. Son objectif n’est pas la centralisation mais la cohérence, en permettant une visibilité sur l’ensemble des portefeuilles de projets et une séquence d’intervention favorable aux projets multi-acteurs.

Prenons l’exemple d’une ligne régionale de transport d’électricité impliquant un gouvernement, un concessionnaire privé, une garantie d’une institution de développement et un projet d’énergie renouvelable associé. Aujourd’hui, chaque acteur avance souvent selon son propre calendrier. Avec la plateforme de coordination, ces éléments peuvent être alignés dans une architecture unifiée. Le résultat : une exécution plus rapide, moins de duplication et un dossier d’investissement renforcé.

Le Président du Groupe de la Banque africaine de développement, Sidi Ould Tah, a rencontré les dirigeants des institutions africaines de financement du développement (IFD) ainsi que des partenaires financiers du secteur privé au siège du Groupe, à Abidjan, le mercredi 19 novembre.

Si ces réformes se poursuivent, l’Afrique pourrait entrer dans une nouvelle ère de maturité financière. Les entrepreneurs auraient accès à des capitaux en fonds propres patients et à des financements mezzanine. Les fonds de pension orienteraient une part croissante de leurs actifs vers des véhicules domestiques crédibles. Les municipalités pourraient accéder à des instruments en monnaie locale pour le développement urbain. Les développeurs d’infrastructures bénéficieraient de normes plus claires et de calendriers prévisibles. Progressivement, la position de l’Afrique sur les marchés financiers mondiaux passerait d’une dépendance à l’aide à une dynamique fondée sur l’investissement.

Pendant des décennies, le débat sur le développement du continent s’est concentré sur ce qui manque à l’Afrique. Les deux initiatives de la BAD mettent en lumière ce que le continent peut construire : des marchés de capitaux plus profonds, des institutions renforcées et une architecture financière à la hauteur de ses ambitions démographiques et économiques.

Les 25 prochaines années mettront à l’épreuve la capacité de l’Afrique à agir avec discipline, lucidité et cohésion institutionnelle. Mais la direction est claire. L’Afrique n’attend plus un sauvetage externe ni les modèles de développement du passé. Elle construit les mécanismes sur lesquels chaque région prospère s’est appuyée pour se transformer : le capital, la coordination et la confiance.

L’avenir du continent sera défini non par les ressources qu’il possède, mais par les systèmes financiers qu’il crée. Et, pour la première fois depuis des décennies, ces systèmes commencent à être à la hauteur du potentiel de l’Afrique.


Sources

  • African Development Bank Group. (2025). Africa’s financial sovereignty: Mobilizing institutional capital for development and resilience.
  • African Development Bank Group. (2025, November). African Development Bank Group moves to bridge Africa’s financing gap with new financial coordination platform.
  • African Development Bank Group. (2025, November). African Development Bank Group rallies stock exchanges to reinvent Africa’s financial future.
  • AfricanPact Editorial Team. (2025, August 28). How African public lenders are reshaping capital markets.
  • AfricanPact Editorial Team. (2025, October 15). BOAD’s Eurobond and the arrival of West Africa’s financial maturity.
  • Organisation for Economic Co-operation and Development. (2025). Africa capital markets report 2025: The role of insurance companies and pension funds as institutional investors in African capital markets.

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