Léa Lucienne – Benissan Barrigah – édité par PACT
Depuis plusieurs années, de nombreuses actions ont été entreprises pour la récupération et la transmission du patrimoine culturel africain. Ces initiatives sont vitales pour reconnecter les nations africaines avec leur histoire et leur identité culturelle. Parmi les événements marquants, on note la restitution de 26 œuvres au Bénin par la France en 2021 et celle des bronzes du Royaume du Bénin au Nigeria par l’Allemagne en 2022.
En 2023, un exemple innovant de cette dynamique est le projet de sauvegarde du patrimoine vivant au camp de réfugiés de Minawao au Cameroun, soutenu par l’UNESCO. Cette initiative, qui s’est intensifiée récemment, utilise les pratiques culturelles traditionnelles pour renforcer la résilience des réfugiés nigérians, en favorisant la cohésion sociale et la transmission intergénérationnelle au sein du camp.
Des personnalités comme Francis G. Tagro, Mactar S. Mbaye et Paule-Clisthène Dassi jouent également un rôle crucial dans ce processus. Les journées du 5 mai, célébrant la Journée mondiale de l’Afrique, et du 18 mai, marquant la Journée internationale des musées, sont des dates clés pour promouvoir ces efforts.
Francis G. Tagro : Conservateur de Musée – Directeur du Musée des Civilisations de Côte d’Ivoire.
Mactar S. Mbaye : Spécialiste de la muséalisation du patrimoine immatériel – Directeur Régional de la Culture à Thiès au Sénégal.
Paule-Clisthène Dassi : Conservatrice du patrimoine, spécialité Musée – Responsable du pôle conservation à la Route des chefferies au Cameroun.
Cet article explore l’importance de ces initiatives, la nécessité pour les nations africaines de prendre en main cette mission, les défis prioritaires auxquels le continent fait face et les raisons pour lesquelles la récupération du patrimoine reste cruciale malgré ces défis.
L’importance cruciale de la récupération du patrimoine culturel
La récupération des œuvres d’art africaines est d’une importance capitale pour plusieurs raisons. Elle permet avant tout de renouer avec l’histoire et l’identité culturelle des pays du continent africain, ce qui est essentiel pour renforcer la fierté nationale et la conscience collective. La restitution des artefacts représente également une forme de justice historique, réparant en partie les injustices du passé colonial.
Les musées africains ont un rôle crucial à jouer dans l’éducation des populations locales. En exposant des objets significatifs, les musées offrent un accès direct à l’histoire et aux traditions locales, ce qui favorise une meilleure compréhension et préservation du patrimoine culturel. Paule-Clisthène Dassi, Responsable du pôle conservation à la Route des chefferies au Cameroun, montre l’importance d’intégrer l’éducation au patrimoine dès le plus jeune âge et explique comment le programme musée-école au Cameroun utilise des mallettes pédagogiques pour sensibiliser les élèves et les parents à l’importance du patrimoine culturel.
Les programmes scolaires doivent inclure des modules sur le patrimoine comprenant des visites scolaires et des activités « hors les murs » de ces musées, essentielles pour sensibiliser les jeunes générations.
Le développement des musées est également un aspect essentiel de cette récupération. Des pays comme le Ghana, le Rwanda, la RDC, le Bénin et la Côte d’Ivoire investissent dans la construction de nouveaux musées pour accueillir les œuvres restituées. Ces initiatives facilitent le rapatriement des œuvres, mais renforcent aussi les infrastructures culturelles et éducatives locales.
Au Cameroun, le programme de la Route des Chefferies implique activement les communautés locales. Les musées sont construits dans les chefferies et permettent aux communautés de continuer à utiliser les objets exposés pour leurs rituels. Cela crée une connexion vivante et continue entre le patrimoine et les pratiques culturelles.
La célébration des journées du patrimoine, comme celle du 5 mai dédiée à la Journée mondiale de l’Afrique et celle du 18 mai pour la Journée internationale des musées, met en avant l’importance de l’éducation dans ce processus. En 2023, ces journées ont porté sur des thèmes liés à l’éducation et à la recherche, soulignant le rôle des musées et des sites patrimoniaux dans la transmission des connaissances.
Exemples concrets de la valeur de la récupération du patrimoine :
- Le cas des musées communautaires au Cameroun
Le programme de la Route des Chefferies au Cameroun est un exemple emblématique de l’impact direct que la récupération et la gestion locale du patrimoine culturel peuvent avoir sur les communautés. Ce programme, développé avec la participation active des chefferies locales, a permis la création de musées communautaires directement au sein des chefferies. Ces musées ne sont pas de simples lieux d’exposition statique, ils servent de centres vivants où les objets exposés continuent d’être utilisés dans des rituels locaux. Par exemple, lors des cérémonies de jumeaux, les objets exposés au musée peuvent être retirés pour être utilisés dans les rituels au sein des familles.
Cela illustre non seulement l’importance du patrimoine culturel pour les pratiques vivantes des communautés, mais aussi la manière dont ces initiatives renforcent le lien entre le passé et le présent, assurant une transmission continue des traditions culturelles. Ce modèle de musée montre que la récupération du patrimoine ne se limite pas à récupérer un ancien patrimoine, mais montre la volonté réelle des communautés locales à le réintégrer dans leurs pratiques culturelles, où il a un réel rôle significatif.
- Le cas des musées des peuples Bassari Peul et Bédik au Sénégal
La gestion du patrimoine culturel immatériel est intégrée à la vie quotidienne des communautés locales. Ce site est inscrit au patrimoine mondial et voit la participation active des habitants de deux manières :
- Non seulement dans l’accueil des visiteurs mais aussi dans l’explication des traditions et des modes de vie locaux. Cette implication directe des communautés contribue à la transmission des savoirs et des pratiques culturelles, tout en renforçant l’identité locale.
- Les cérémonies et rituels traditionnels sont des exemples concrets où le patrimoine matériel exposé dans les musées est utilisé lors des rituels, liant ainsi le passé et le présent de manière vivante.
Ce modèle de gestion participative montre l’importance de la récupération et de la valorisation du patrimoine culturel car il permet de préserver l’histoire et les cultures mais aussi de créer de nombreux emplois locaux.
Les grandes limites et priorités : pourquoi la récupération du patrimoine reste importante malgré les défis
Il est indéniable que les pays sont confrontés à des défis urgents tels que la famine, les épidémies et le manque d’infrastructures sanitaires. Ces problèmes sont à juste titre perçus comme des priorités immédiates, reléguant la question de la récupération du patrimoine au second plan.
Cependant, la récupération des œuvres d’art et du patrimoine culturel reste essentielle pour plusieurs raisons : la culture et le patrimoine jouent un rôle clé dans le développement et notamment, le développement durable. La préservation et la valorisation du patrimoine culturel peuvent créer des opportunités économiques, notamment par le biais du tourisme culturel. Par exemple, les expositions d’œuvres restituées peuvent attirer des visiteurs et stimuler l’économie locale.
Au Sénégal, dans le pays Bassari, le spécialiste de la muséalisation du patrimoine immatériel Mactar S. Mbaye explique en quoi la gestion du site inscrit au patrimoine mondial implique étroitement les communautés locales. Les habitants participent activement à l’accueil des visiteurs et à l’explication des traditions et modes de vie locaux.
- La récupération du patrimoine culturel renforce l’identité nationale et la cohésion sociale. Même si ce n’est pas une condition absolue, une population qui entretient un lien fort avec son histoire et sa culture peut contribuer à renforcer l’unité et la résilience face aux défis socio-économiques.
- La gestion et la valorisation du patrimoine culturel peuvent créer en outre des emplois locaux et des opportunités économiques, notamment dans le secteur du tourisme, de l’artisanat et de l’éducation. Les revenus générés peuvent être réinvestis dans des secteurs cruciaux comme la santé et l’agriculture.
- Les artefacts et les sites culturels sont des outils pédagogiques puissants. Ils permettent d’enseigner l’histoire locale de manière concrète et engageante, en rendant les récits du passé accessibles aux jeunes générations.
N’oublions pas que la restitution des œuvres d’art est une forme de justice historique. C’est une étape vers la réparation morale. Malgré les défis financiers, il est essentiel de garantir un financement stable et durable pour les projets de conservation du patrimoine.
L’importance de la gestion locale du patrimoine culturel
La récupération et la gestion des richesses culturelles par les communautés africaines elles-mêmes est une manifestation de leur droit à l’autodétermination et à la souveraineté. Les populations locales sont les principaux acteurs dans la gestion de leur patrimoine pour garantir que leurs intérêts et perspectives culturelles soient respectés. Il est crucial que la notion de musées soit adaptée aux cultures des pays et co-construits avec les communautés locales. Une approche inclusive et participative, plaçant les communautés locales au cœur des initiatives de conservation et de valorisation du patrimoine, est essentielle pour garantir la pertinence et la durabilité des musées.
Le rapport Sarr-Savoy sur la restitution du patrimoine culturel africain souligne l’importance de restituer les œuvres d’art aux pays d’origine pour permettre une réappropriation culturelle et éducative. Cet ouvrage met en avant la nécessité de transférer la propriété des artefacts pour que les institutions locales puissent en faire un usage bénéfique pour leurs communautés. C’est également dans son livre « Afrotopia » que Felwine Sarr propose une réflexion sur l’avenir du continent africain, mettant en avant l’importance de la culture et du patrimoine dans le développement endogène. Sarr souligne que la valorisation du patrimoine est essentielle pour forger une identité enracinée et propulser les nations vers une importante croissance économique.
Felwine Sarr, universitaire et économiste sénégalais, est connu pour son travail influent sur la restitution du patrimoine culturel africain. Son livre « Afrotopia » plaide pour une nouvelle vision du développement africain ancrée dans l’identité culturelle et historique.
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La récupération et la gestion du patrimoine culturel sont essentielles pour plusieurs raisons : elles renforcent l’identité et permettent de se rapprocher de son histoire, offrent une forme de justice historique, stimulent l’éducation et la préservation, favorisent le développement économique et touristique, et renforcent la souveraineté culturelle.
Malgré les défis urgents auxquels le continent fait face, la récupération du patrimoine culturel est une importante mission pour un développement durable et inclusif. Les efforts pour récupérer et valoriser ce patrimoine est une opportunité pour renforcer l’autonomie et le développement économique des nations africaines.
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Sources
- Baqué, I. (2020). Restitution du patrimoine africain : « Surtout, que cela ne change rien ! ». Le Monde diplomatique. Disponible sur : https://www.monde-diplomatique.fr/2020/08/BAQUE/62067
- Louvreuse Magazine. (s.d.). Patrimoine africain : L’âge de la restitution. Consulté le 11 juillet 2024, sur https://louvreuse-magazine.fr/patrimoine-africain-lage-de-la-restitution/
- Louvreuse Magazine. (s.d.). Importance de la restitution des œuvres d’art pour les pays africains depuis leurs indépendances. Rôle des congrès, expositions et festivals dans la sensibilisation à la récupération du patrimoine. Critique des généralisations sur les pratiques de conservation en Afrique et comparaison avec les pratiques muséales en Europe. Impact politique et économique de la restitution des œuvres d’art. URL: Patrimoine Africain : le temps de la restitution (Louvreuse Magazine).
- Louvreuse Magazine. (s.d.). Utilisation politique et géopolitique des restitutions par les pays occidentaux. Cas spécifique de la restitution du sabre d’El Hadj Oumar Tall au Sénégal. Participation de pays comme la Chine dans la construction de musées en Afrique. URL: L’ouvreuse Magazine (Louvreuse Magazine).
- UNESCO. (2024). Djowamon : Dialogues entre musées et patrimoines africains [Webinaire]. Consulté sur https://chaire-unesco-culture-tourisme.pantheonsorbonne.fr/actualite/djowamon-dialogues-musees-et-patrimoines-africains
- UNESCO. (s.d.). Importance de l’éducation patrimoniale dès le plus jeune âge. Rôle des musées dans la sauvegarde et la transmission du patrimoine culturel immatériel. Stratégies pour l’intégration de l’éducation patrimoniale dans les programmes scolaires et communautaires. URL: UNESCO Report (UNESDOC).
- Agence Française de Développement (AFD). (2024). Djowamon : Dialogue entre et avec les musées et le patrimoine africain aujourd’hui et demain [Agenda]. Consulté sur https://www.afd.fr/fr/actualites/agenda/djowamon-dialogue-entre-et-avec-les-musees-et-le-patrimoine-africain-aujourdhui-et-demain
- Agence Française de Développement (AFD). (2024). L’appli Djowamon : Une formation aux dialogues entre musées et patrimoines africains. Consulté sur https://www.afd.fr/fr/actualites/appli-djowamon-formation-dialogues-musees-patrimoines-africains
- Campus AFD. (2024). Djowamon : Nouveau webinaire le 22 mai à 14h30 pour favoriser le dialogue entre musées, communautés locales et patrimoine mondial africain. Consulté sur https://campus.groupe-afd.fr/2024/05/22/djowamon-nouveau-webinaire-le-22-mai-a-14h30-pour-favoriser-le-dialogue-entre-musees-communautes-locales-et-patrimoine-mondial-africain/
- Djowamon. (s.d.). Posts. LinkedIn. Consulté le 11 juillet 2024, sur https://www.linkedin.com/company/djowamon/posts/?feedView=all
- Les Arts Dessus Dessous. (2023). Restitution du patrimoine africain : Une histoire en cours [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=18wFECHruKM&list=WL&index=171&t=20s
- Inaya. (2023). Le retour des objets d’art africains [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=L6itNo3Vmnk&list=WL&index=159&t=319s
- UNESCO. (s.d.). Afrique. Consulté le 11 juillet 2024, sur https://whc.unesco.org/fr/afrique/
- UNESCO. (s.d.). Revue du Patrimoine Mondial n°82. Consulté le 11 juillet 2024, sur https://whc.unesco.org/fr/revue/82/
- Ciaravino, L. (2007). L’avenir des biens culturels africains dans le marché mondial. Africultures, 1(69), 150-163. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-africultures-2007-1-page-150.htm
- Guillot, L. (2019). Dépossession, spoliation, restitution : Un tournant africain du patrimoine universel. Multitudes, 1(74), 23-35. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-multitudes-2019-1-page-23.htm
- Sarr, F. (2016). Afrotopia. Paris : Philippe Rey.