Les institutions financières publiques africaines entrent sur les marchés de capitaux

L’élan est clair. Face à la baisse des flux d’aide, les institutions africaines se tournent de plus en plus vers les investisseurs privés pour financer la croissance. Le Fonds africain de développement (FAD), qui fournit des financements concessionnels aux pays les plus pauvres du continent, prévoit d’émettre jusqu’à 5 milliards de dollars d’obligations tous les trois ans à partir de 2027 — un changement radical par rapport à sa dépendance traditionnelle aux contributions des donateurs.

Cette décision fait suite au succès de la Banque africaine de développement (BAD) sur les marchés mondiaux. La BAD a lancé des instruments innovants tels qu’une obligation sociale de 2 milliards de dollars et, en janvier 2024, la toute première obligation hybride émise par un prêteur multilatéral : un titre perpétuel de 750 millions de dollars, sursouscrit à hauteur de 6 milliards de dollars de demandes (soit 8 fois plus).

Au-delà de la BAD, les prêteurs régionaux s’impliquent aussi. La Development Bank of Nigeria (DBN) a levé ₦23 milliards en obligations en monnaie locale pour élargir le crédit aux petites entreprises. De son côté, la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) a maintenu de solides notations de crédit, gardant des coûts d’emprunt compétitifs et, en février 2025, a émis une obligation hybride de 500 millions de dollars, une première pour un prêteur régional africain. Ces exemples montrent comment les prêteurs publics africains construisent progressivement leur crédibilité sur les marchés obligataires et élargissent leur base d’investisseurs.

Pour que les prêteurs publics réussissent sur les marchés de capitaux, la crédibilité des gouvernements et des politiques solides sont essentielles. Les investisseurs exigent stabilité, gestion responsable de la dette et stratégies économiques claires avant d’engager du capital.

La Côte d’Ivoire illustre bien ce principe

En mars 2025, le pays a émis une opération Eurobond en deux tranches : une première a levé 1,75 milliard de dollars US à 8,075 % (échéance 2036), tandis qu’une autre a rapporté 220 milliards de FCFA (~335 millions €) à 6,875 % (échéance 2028, remboursable en euros). L’émission a été plus de deux fois sursouscrite, attirant des gestionnaires d’actifs mondiaux, fonds de pension, assureurs et hedge funds.

Fait important, Abidjan a utilisé une partie des fonds pour racheter par anticipation d’anciennes obligations et allonger les échéances de remboursement, un geste qui a rassuré les investisseurs quant à la discipline budgétaire. Avec une croissance du PIB projetée à plus de 6 % en 2025, le pays a confirmé sa réputation d’une des économies les plus dynamiques d’Afrique de l’Ouest. Son expérience souligne une leçon plus large : la crédibilité des politiques publiques déverrouille le capital privé.

Opportunités et risques

L’opportunité est immense. L’Afrique a besoin de 130 à 170 milliards de dollars d’investissements annuels dans les infrastructures, avec un déficit pouvant atteindre 100 milliards par an. Les marchés obligataires ne peuvent combler ce manque à eux seuls, mais ils peuvent fournir des financements vitaux pour des centrales électriques, des chemins de fer, du logement et du crédit aux petites entreprises — des projets qui créent des emplois et stimulent la croissance.

La démographie rend la question urgente. D’ici 2050, la population africaine doublera pour atteindre 2,5 milliards, créant la main-d’œuvre à la croissance la plus rapide au monde. Chaque milliard levé aujourd’hui peut aider à financer des écoles, des systèmes de transport et des réseaux énergétiques pour cette nouvelle génération. Bien gérés, les emprunts de marché pourraient transformer la vague démographique africaine en dividende plutôt qu’en fardeau de la dette.

Mais les risques persistent. Les petits prêteurs publics pourraient peiner à obtenir les notations de crédit élevées nécessaires pour emprunter à bas coût. La volatilité des taux d’intérêt mondiaux pourrait renchérir brutalement les coûts. Et sans supervision solide, une ruée vers les marchés obligataires pourrait mener à un surendettement, menaçant la stabilité financière.

Soutenabilité de la dette

L’histoire invite à la prudence. Plusieurs gouvernements africains ont fait défaut ou restructuré leur dette ces dernières années, montrant à quelle vitesse l’accès au marché peut disparaître. Le FMI note que l’Afrique subsaharienne ne collecte que 13 % du PIB en impôts, contre des ratios bien plus élevés ailleurs. Avec une base de recettes aussi étroite, des charges d’intérêts moyennes représentant environ 12 % des revenus publics — et près de 30 % dans certains pays — placent de nombreux emprunteurs face au risque d’une dette insoutenable. Le danger est clair : sans discipline budgétaire, recourir aux marchés pourrait piéger les pays dans un cycle d’emprunts coûteux et de défauts douloureux.

C’est pourquoi l’attention se porte désormais sur les prêteurs publics africains. Des institutions comme le FAD, la BAD et la BOAD sont attendues pour donner le ton en matière d’emprunt soutenable. Les analystes mettent en avant plusieurs leviers pour renforcer leur position :

  • Investissements productifs : veiller à ce que les fonds levés financent l’énergie, les transports, le logement et le crédit aux petites entreprises, générant croissance et revenus.
  • Financements mixtes : combiner fonds concessionnels et emprunts de marché pour réduire les coûts et mutualiser les risques.
  • Transparence et gouvernance : améliorer les normes de reporting pour rassurer les investisseurs.
  • Refinancement responsable : lisser les calendriers de remboursement, comme l’a montré la Côte d’Ivoire avec ses rachats récents.

La capacité des prêteurs publics à intégrer ces pratiques façonnera leur crédibilité auprès des investisseurs et leur aptitude à maintenir une soutenabilité de la dette sur le long terme.

Un tournant

Malgré les risques, le virage paraît irréversible. Alors que le soutien des donateurs stagne, les marchés de capitaux deviennent une bouée de sauvetage. Les investisseurs, en quête à la fois de rendement et d’impact, trouvent de plus en plus les deux en Afrique. Pour les prêteurs publics, le défi est clair : combiner discipline financière et mission sociale, en veillant à ce que chaque obligation émise transforme concrètement les économies locales.

La prochaine décennie pourrait marquer un tournant. En accédant de manière responsable aux marchés mondiaux, les prêteurs publics africains peuvent renforcer non seulement leur crédibilité mais aussi la souveraineté économique du continent, aidant les nations à financer leur développement selon leurs propres termes.

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