Les minéraux critiques en Afrique : des ressources à la puissance industrielle

À mesure que le changement climatique s’accélère et que les combustibles fossiles perdent du terrain, l’économie mondiale se dirige à toute vitesse vers un avenir plus propre et bas carbone. Cette transition redessine les marchés et les chaînes d’approvisionnement. Les pays réorientent leurs industries pour produire des véhicules électriques, des panneaux solaires, des éoliennes et des batteries de grande capacité. Toutes ces technologies reposent sur une base : les minéraux critiques. Le lithium, le cobalt, les terres rares, le graphite, le nickel, le manganèse et les métaux du groupe du platine (MGP) forment l’ossature de l’économie verte.

Les économies productrices d’Afrique détiennent certains des gisements les plus importants du monde. La République démocratique du Congo fournit plus de 70 % de la production mondiale de cobalt. L’Afrique du Sud détiendrait environ 80 % des réserves connues de MGP, essentiels pour les technologies de l’hydrogène. Le Zimbabwe compte parmi les principaux producteurs africains de lithium, tandis que la mine de Goulamina au Mali, mise en service en 2024, positionne le pays comme un acteur émergent en Afrique de l’Ouest, aux côtés de nouveaux projets en Namibie. Le Mozambique et Madagascar s’imposent comme des fournisseurs clés de graphite, et l’exploration des terres rares progresse en Angola et en Tanzanie.

Ces dotations placent l’Afrique au cœur de la transition énergétique propre. Pourtant, détenir les minéraux ne revient pas à détenir la valeur. La position du continent est donc à la fois puissante et précaire :

  • Moins de 5 % des minéraux critiques sont raffinés ou transformés localement, ce qui signifie que la majorité des revenus et des emplois sont créés à l’étranger.
  • Les pénuries d’électricité et la faiblesse des réseaux de transport freinent la croissance industrielle.
  • Les lacunes en matière de compétences dans l’ingénierie et les technologies vertes ralentissent la transition de l’extraction vers des industries à plus forte valeur ajoutée.

La géologie seule ne garantit pas le développement. Sans infrastructures, compétences et investissements dans la valeur ajoutée, les États riches en ressources risquent de rester de simples fournisseurs de minerais bruts tandis que les bénéfices industriels s’accumulent ailleurs.

Les gouvernements comme facilitateurs et régulateurs

Les gouvernements, en tant que gardiens des richesses minérales, commencent à passer des exportations brutes à des politiques mettant l’accent sur la valorisation et le développement industriel. Leur rôle est de sécuriser des contrats transparents, de réguler efficacement et de s’assurer que les communautés locales bénéficient de l’activité minière.

Des changements récents de politique illustrent cette dynamique :

  • Le Burkina Faso a adopté un nouveau Code minier (Loi n° 016-2024/ALT) et une Loi sur le contenu local (Loi n° 017-2024/ALT), imposant la valorisation et créant un cadre pour des coentreprises dans le lithium et les terres rares via la société d’État SOPAMIB.
  • Le Zimbabwe a interdit l’exportation de lithium brut afin de stimuler le raffinage local et la production de batteries.
  • La Namibie combine l’octroi de licences pour les projets d’hydrogène vert avec des incitations à la valorisation des minéraux.
  • L’Union africaine fait avancer une stratégie continentale sur les minéraux critiques pour harmoniser les règles et capter davantage de valeur au niveau régional.

Cependant, les annonces ne sont que la première étape. Le véritable test réside dans la mise en œuvre. Des infrastructures fiables, des investissements à long terme et des main-d’œuvre qualifiées détermineront si les réformes vont au-delà du papier. Sans application, les politiques de valorisation risquent de devenir symboliques, rappelant les occasions manquées des précédents booms pétroliers et aurifères.

Le secteur privé : moteur de l’industrialisation

Le capital privé évolue souvent plus vite que les budgets publics, stimulant l’innovation et l’essor des projets. Les investisseurs mondiaux se positionnent dans l’économie africaine des minéraux critiques. KoBold Metals, soutenu par Bill Gates et Jeff Bezos, s’étend en RDC avec des droits d’exploration pour le cuivre, le cobalt et le lithium. Au Mali, Ganfeng Lithium a acquis la participation de 40 % de Leo Lithium dans le projet de Goulamina, tandis que l’État a accru sa part dans le cadre d’un nouveau code minier.

Des champions locaux émergent également. African Rainbow Minerals opère dans les MGP et les métaux ferreux en Afrique du Sud. Au Zimbabwe, des entreprises investissent dans les capacités en aval pour se conformer aux interdictions d’exportation. En Tanzanie, des projets de graphite comme Mahenge progressent vers des capacités de raffinage et de transformation.

Pour les investisseurs africains, le défi est d’aller au-delà de l’extraction. L’expansion vers le raffinage, la transformation et les partenariats technologiques sera essentielle pour capter davantage de valeur. La collaboration avec les universités et les startups peut favoriser l’innovation, tandis que le respect de normes ESG crédibles améliorera l’accès aux acheteurs mondiaux. Les zones économiques spéciales, une réglementation prévisible et les partenariats public-privé peuvent accélérer les progrès. Sans un engagement local plus profond, la trajectoire de l’économie minérale africaine continuera d’être largement façonnée par des acteurs extérieurs.

Une opportunité tournée vers l’avenir

Les minéraux critiques ne concernent pas seulement la géologie. Ils concernent l’emploi, la capacité industrielle et la souveraineté économique. Le secteur est intensif en main-d’œuvre, créant des opportunités dans l’extraction, le raffinage, la logistique, la recherche et les services technologiques. Pour les économies productrices, les enjeux sont transformateurs. Pour le continent dans son ensemble, le commerce régional et l’intégration peuvent diffuser les bénéfices.

Avec une population jeune en Afrique qui devrait doubler pour atteindre 830 millions d’ici 2050, le besoin de création massive d’emplois est urgent. Un secteur minier bien géré pourrait générer des emplois qualifiés, élargir l’espace budgétaire pour la santé, l’éducation et les infrastructures, et ancrer de nouvelles industries dans les technologies propres, les matériaux avancés et les services liés aux chaînes d’approvisionnement.

Mais si les pays restent dépendants des exportations brutes, ils ne capteront qu’une fraction de cette opportunité. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que le marché mondial des minéraux critiques pourrait atteindre 770 milliards USD par an d’ici 2040 dans les scénarios de neutralité carbone. L’écart entre l’exportation de minerais et l’exportation de produits raffinés pourrait se traduire par des dizaines de milliards de dollars de pertes de revenus chaque année.

Le choix est urgent. Pour les économies productrices, la prochaine décennie déterminera si la richesse minérale se traduit par une puissance industrielle. Pour le continent, l’intégration à travers l’Union africaine et la ZLECAf décidera si cette transition apporte la prospérité ou accentue les inégalités.

La course aux minéraux critiques concerne désormais la politique, la propriété et l’exécution. Savoir si l’Afrique détient non seulement les réserves, mais aussi la valeur, déterminera si la transition énergétique devient un catalyseur de prospérité partagée ou une occasion manquée de plus.

Sources

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