Convergence des capitaux dans la fintech africaine : l’exemple de Moniepoint

Le 21 octobre 2025, la fintech nigériane Moniepoint Inc. a annoncé que sa levée de fonds en capital d’amorçage de série C avait dépassé 200 millions de dollars américains, menée par Development Partners International, avec la participation de LeapFrog, Lightrock, IFC, Proparco, Google’s Africa Investment Fund et Visa.
Dans un mouvement parallèle, l’institution suédoise de financement du développement Swedfund a révélé un investissement en actions directes de 10 millions de dollars dans l’entreprise.
Fondée en 2015 par Tosin Eniolorunda et Felix Ike, Moniepoint est devenue l’une des principales plateformes de services bancaires aux entreprises en Afrique.
Ensemble, ces annonces positionnent Moniepoint comme une étude de cas illustrant comment la rentabilité et l’inclusion attirent à la fois des capitaux privés et des financements orientés vers le développement dans la fintech africaine.

Détails de la transaction

Le mouvement phare de Moniepoint est sa levée de fonds en actions de série C, désormais supérieure à 200 millions de dollars.
L’entreprise avait d’abord annoncé environ 110 millions de dollars en octobre 2024, avant qu’un apport de capital supplémentaire en octobre 2025 ne fasse passer le tour au-dessus de ce seuil, selon les déclarations de l’entreprise et divers rapports médiatiques.

Le tour a été mené par la société de capital-investissement Development Partners International (via son fonds African Development Partners III), et comprenait LeapFrog Investments, Lightrock, Verod Capital Management, Alder Tree Investments, Google’s Africa Investment Fund, Visa Inc., ainsi que la Société financière internationale (IFC) et Proparco.
Swedfund a également annoncé un investissement en actions de 10 millions de dollars dans Moniepoint.

Le nouveau capital soutiendra la prochaine phase de croissance de Moniepoint :

  • le renforcement de ses services bancaires et de paiements pour les entreprises au Nigeria et dans d’autres marchés africains,
  • l’expansion de ses corridors de transferts de fonds via MonieWorld (sa filiale basée au Royaume-Uni pour les transferts de la diaspora),
  • et l’élargissement de sa gamme de produits destinés aux micro, petites et moyennes entreprises (MPME) ainsi qu’aux clients particuliers.

Portée stratégique

Selon des observateurs sectoriels tels que Partech Africa, qui a rapporté que près de 60 % des investissements en capital dans la tech africaine en 2024 concernaient la fintech, et d’autres études de Briter Bridges, une part importante du capital-risque et du capital-investissement s’est orientée vers ce secteur.
Les raisons sont claires : de larges segments de la population demeurent sous-bancarisés, l’adoption du mobile est généralisée, et les services numériques se déploient sans nécessiter d’infrastructures physiques lourdes.

Des pionniers du mobile money comme M-Pesa au Kenya aux géants récents tels que Flutterwave, Chipper Cash, MNT-Halan et Wave, la fintech a séduit les investisseurs en comblant les lacunes d’accès financier dans des marchés fragmentés.
Mais à mesure que le secteur mûrit, le défi évolue : passer des paiements aux plateformes financières rentables et inclusives.
La levée de fonds double de Moniepoint répond directement à ce changement.

Rentabilité à grande échelle

Cette série C positionne Moniepoint parmi les rares licornes africaines ayant atteint une rentabilité durable.
Alors que de nombreuses start-ups numériques continuent de consommer du capital pour acquérir des utilisateurs, Moniepoint traite plus de 250 milliards de dollars par an pour plus de 10 millions de clients et affiche des résultats positifs.

Cela marque un point d’inflexion : la taille seule ne suffit plus.
Dans l’environnement mondial de financement plus resserré d’aujourd’hui, l’économie unitaire, la durabilité et l’efficacité opérationnelle deviennent décisives.
Le modèle intégré de Moniepoint — acquisition de marchands, services bancaires pour entreprises, paiements et crédit — démontre que les fintechs peuvent être à la fois inclusives et rentables.

Une infrastructure pour l’économie informelle

Moniepoint fournit également une infrastructure numérique pour les MPME, incluant des outils de banque, crédit, gestion des stocks et conformité.
Ce rôle est particulièrement crucial dans l’économie informelle nigériane, composante d’un marché du travail africain plus large où, selon l’Organisation internationale du travail (OIT), plus de quatre emplois sur cinq sont informels.

Les banques traditionnelles ont souvent évité les MPME en raison d’historiques de crédit limités et de risques perçus.
Moniepoint, soutenue par une licence de banque de microfinance, comble cette lacune.
En utilisant les données de transaction pour évaluer le risque et accorder du crédit, elle aide à formaliser les activités et à étendre l’accès au financement.
Des investisseurs comme LeapFrog ont mis en avant ce rôle, soulignant la valeur de Moniepoint comme partenaire du secteur des petites entreprises africaines.

Une base d’investisseurs convergente

Ce qui distingue la levée de fonds de Moniepoint est la diversité de ses bailleurs.
Cette série C réunit trois catégories de capitaux — fonds commerciaux, entreprises stratégiques et institutions financières de développement (IFD) —, un mélange encore rare dans la fintech africaine.

Du côté commercial, des firmes de private equity comme DPI et des fonds à impact tels que Lightrock et LeapFrog ont apporté du capital de croissance.
Les entreprises stratégiques ont également joué un rôle visible : Google’s Africa Investment Fund et Visa Inc. ont investi pour renforcer la technologie et l’infrastructure de paiement de Moniepoint, confirmant ainsi leur confiance à long terme dans l’économie numérique africaine.

En parallèle, les IFD comme IFC et Proparco ont participé à la série C.
Swedfund, de son côté, a confirmé un investissement en actions de 10 millions de dollars, annoncé séparément.
Leur participation est remarquable, car ces institutions se concentrent traditionnellement sur les infrastructures ou les projets pilotes en phase initiale ; leur implication dans des fintechs rentables et matures reste rare.

Cette convergence d’investisseurs reflète la maturation du paysage des capitaux.
Les fintechs africaines qui allient échelle, rentabilité et inclusion attirent désormais simultanément du capital commercial, stratégique et de développement.
Ce mélange élargit les sources de financement disponibles et offre un modèle reproductible pour d’autres secteurs où les objectifs commerciaux et de développement s’alignent.

Tendances continentales plus larges

Moniepoint reflète des transformations profondes du paysage financier et du développement en Afrique.
Deux tendances majeures se dégagent :

  1. le passage des applications de paiement aux plateformes financières complètes,
  2. et la convergence entre rentabilité et inclusion.

Finance 2.0 : des applications de paiement aux plateformes de profit

Une nouvelle génération de fintechs africaines dépasse désormais le simple portefeuille numérique pour évoluer vers des plateformes complètes, dotées de modèles résilients et fondés sur les revenus.
Moniepoint, avec sa gamme intégrée de services bancaires pour entreprises, de crédit aux PME et de microfinance réglementée, illustre cette évolution vers une véritable infrastructure financière.

Une trajectoire parallèle est visible chez Wave, la licorne sénégalaise.
Après avoir levé 200 millions de dollars en série A en 2021, un record pour une start-up africaine, et un financement par dette de 137 millions de dollars soutenu par des IFD en 2025, Wave a enregistré une filiale bancaire, “Wave Bank Africa S.A.”, en Côte d’Ivoire.

Ensemble, ces exemples illustrent la montée d’une “Finance 2.0” : des plateformes numériques servant les MPME, les commerçants informels et les consommateurs comme marchés à fort potentiel.
Elles offrent des alternatives crédibles à la banque traditionnelle, avec des services adaptés aux réalités locales.

Cette évolution est accélérée par la démographie : la population africaine dépasse aujourd’hui 1,4 milliard d’habitantset devrait doubler d’ici 2050, avec 70 % âgés de moins de 30 ans.
La demande de systèmes financiers numériques, inclusifs et à grande échelle n’est pas une perspective future, mais une urgence actuelle.

Rentabilité et inclusion

Historiquement, les investisseurs considéraient les rendements financiers et l’impact social comme des objectifs contradictoires.
Les entreprises africaines les plus résilientes remettent désormais en question cette dichotomie, prouvant que la rentabilité et l’inclusion peuvent se renforcer mutuellement.

Moniepoint illustre ce tournant : elle sert plus de 10 millions d’utilisateurs, dont un grand nombre de MPME et d’entreprises informelles, tout en étant rentable à grande échelle.
Ce n’est pas une exception, mais un modèle émergent : lorsque l’inclusion est intégrée dans la conception même de l’entreprise, l’échelle et la durabilité suivent naturellement.

Cette nouvelle génération de fintechs ne considère pas les utilisateurs à faible revenu ou les entreprises informelles comme des bénéficiaires périphériques, mais comme des marchés centraux.
En s’attaquant à des points de friction clés — infrastructure de paiement, crédit commercial —, ces entreprises étendent l’accès financier tout en générant des revenus récurrents et stables.

Les investisseurs s’adaptent.
Les flux de capitaux — du capital commercial au financement du développement — soutiennent de plus en plus des modèles qui étendent l’inclusion sans sacrifier les rendements.
Dans un contexte où l’aide concessionnelle se contracte, les approches symboliques ne suffisent plus.
La prochaine vague de croissance africaine reposera sur des entreprises où performance financière et impact social progressent ensemble.
Ce n’est pas un compromis, mais un nouvel étalon du développement.

Un modèle pour les secteurs essentiels en Afrique

Les secteurs les plus vitaux du continent — agriculture, énergie, santé et éducation — demeurent sous-desservis, informels et souvent dépendants des financements des donateurs.
Pourtant, ils se prêtent bien au modèle d’investissement à double approche qui a redéfini la fintech :

  • du capital commercial pour bâtir les infrastructures et atteindre l’échelle,
  • et du capital d’impact pour garantir l’accessibilité, l’abordabilité et la résilience.

Les signaux précoces sont déjà visibles :

  • en agriculture, des plateformes intégrant paiements mobiles, crédit intrant, données météo et accès au marché améliorent la productivité tout en attirant capital-risque et financements de développement ;
  • en énergie, les modèles solaires pay-as-you-go étendent l’électricité rurale de façon rentable ;
  • en santé, la micro-assurance numérique et les réseaux de soins s’avèrent plus viables lorsqu’ils s’appuient sur l’infrastructure mobile ;
  • en éducation, les solutions numériques à bas coût combinant contenu modulaire et paiements flexibles élargissent l’accès à grande échelle.

Ces modèles restent fragmentés et sous-exploités.
Ce qui manque, c’est un changement structurel continental dans la manière dont les services essentiels sont conçus, financés et mis à l’échelle.
Une transformation plus profonde exigera la mobilisation d’acteurs nationaux, régionaux et internationaux autour de quatre grands piliers :

  1. L’inclusion comme stratégie économique centrale
  2. Un changement de logique d’investissement : un marché de croissance structurelle à long terme
  3. La mobilisation du capital domestique
  4. La capacité institutionnelle et de gouvernance

La fintech a prouvé que des modèles inclusifs et commercialement viables peuvent exister à grande échelle.
Le défi consiste désormais à étendre cette approche aux secteurs où l’Afrique ne peut plus attendre.

Références

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