Retour du Nigeria sur les Eurobonds : Financer aujourd’hui, se positionner pour 2050

Lorsque le Nigeria est revenu sur le marché des Eurobonds en novembre 2025, le mouvement a suscité un débat dans les cercles financiers africains.
Était-ce une nouvelle vague d’accumulation de dette, ou un signal calculé indiquant que la plus grande économie d’Afrique se repositionne sur les marchés financiers mondiaux ?

Les Eurobonds en contexte

Les Eurobonds sont des instruments de dette émis dans une monnaie étrangère, généralement le dollar américain.
Ils permettent aux pays de lever des capitaux auprès d’investisseurs internationaux et d’accéder à une vaste liquidité mondiale, au-delà des systèmes bancaires domestiques.

Depuis le premier Eurobond du Ghana en 2007, plus de 20 pays africains, de la Côte d’Ivoire à l’Éthiopie, ont levé des fonds sur les marchés internationaux.
L’attrait réside dans la possibilité de lever des montants importants en une seule transaction, de signaler une crédibilité internationale et d’élargir la base d’investisseurs.

Cependant, les risques sont significatifs. Le risque de change est majeur : chaque dépréciation de la monnaie domestique alourdit le remboursement. Les États qui émettent en dollars sont vulnérables aux cycles mondiaux des taux d’intérêt, et la pression du refinancement augmente lorsque la croissance est insuffisante.
Pour les décideurs, le véritable test consiste à garantir que les fonds empruntés construisent des actifs productifs plutôt que de semer les germes d’une détresse future.

Le Nigeria et l’Eurobond 2025 : de quoi s’agit-il ?

Le 5 novembre 2025, le Debt Management Office (DMO) du Nigeria a annoncé la fixation du prix de 2,35 milliards de dollars d’Eurobonds en deux tranches :

  • 1,25 milliard USD, maturité « longue » 10 ans (2036) à 8,63 %
  • 1,10 milliard USD, maturité « longue » 20 ans (2046) à 9,13 %

La demande des investisseurs a atteint 13 milliards de dollars, soit près de 4,5 fois l’offre.
Les participants incluaient des gestionnaires d’actifs mondiaux, des assureurs, des fonds de pension et des hedge funds provenant de cinq continents.

Selon le DMO, les fonds serviront à financer une partie du déficit budgétaire 2025, à refinancer des Eurobonds arrivant à échéance et à réduire la dépendance au financement de la banque centrale.
L’émission joue donc un rôle de liquidité budgétaire et un rôle de signal : le Nigeria réaffirme sa présence sur les marchés internationaux.

Aperçu de la position d’endettement du Nigeria

Au 30 juin 2025, la dette publique totale du Nigeria s’élevait à environ 152,4 trillions de nairas (≈ 99,7 milliards USD), contre 121 trillions fin 2024.
(Ce chiffre n’a pas pu être vérifié dans les bulletins accessibles du DMO au moment de l’écriture.)

La dette externe est estimée à 71,85 trillions de nairas (≈ 47 milliards USD) et la dette domestique à 80,55 trillions (≈ 52 milliards USD).
Les Eurobonds représenteraient plus de 15 milliards USD du portefeuille externe, plaçant le Nigeria parmi les émetteurs souverains les plus actifs du continent.

Aux coupons mentionnés ci-dessus, les nouvelles obligations impliquent :

  • ≈ 206 millions USD d’intérêts annuels
  • ≈ 3,1 milliards USD d’intérêts sur la durée de vie (10 ou 20 ans)
  • ≈ 5,4 milliards USD de paiements totaux, principal inclus (soit plus de 2× le montant emprunté)

Le service de la dette absorbe une grande part des ressources fiscales.
Dans le budget fédéral 2025, 10,1 trillions de nairas (≈ 6,5 milliards USD) sont consacrés au service de la dette, soit environ 61 % des recettes fédérales et ~4 % du PIB.

Le FMI a indiqué que le ratio intérêts/recettes du Nigeria dépassait 80 % en 2023, l’un des plus élevés au monde.

Bien que le ratio dette/PIB (~52 %) soit modéré, le ratio recettes/PIB (~8–9 %) est extrêmement faible comparé aux pairs.
C’est ce déséquilibre — faibles recettes plutôt que volume de dette — qui constitue la vulnérabilité fiscale du Nigeria.

Exposition au risque de change : le risque structurel

Parce que les Eurobonds sont libellés en dollars, chaque dépréciation du naira amplifie la charge de remboursement.

Exemple :

  • À 1 500 ₦/USD → 206 millions USD = ~312 milliards ₦
  • À 2 000 ₦/USD → 206 millions USD = ~416 milliards ₦

→ soit une hausse de ~33 % due exclusivement au taux de change.

Étant donné la dépendance du Nigeria aux instruments en dollars et sa sensibilité aux cycles pétroliers, la volatilité du naira constitue un risque fiscal majeur.

Émissions d’Eurobonds en cours du Nigeria

Année d’émissionÉchéanceTermeMontant (USD)CouponObjet
201716 fév. 203215 ans1 milliard $7,875 %Projets d’investissement (budget 2016)
201716 fév. 203215 ans500 millions $ (tap)7,875 %Projets d’investissement (budget 2016)
201823 fév. 203012 ans1,25 milliard $7,143 %Refinancement de la dette domestique
201823 fév. 203820 ans1,25 milliard $7,696 %Refinancement de la dette domestique
201821 nov. 20257 ans1,18 milliard $7,625 %Financement du déficit budgétaire 2018
201821 nov. 203012 ans1 milliard $8,750 %Financement du déficit budgétaire 2018
201821 nov. 204930 ans750 millions $9,250 %Financement du déficit budgétaire 2018
202128 sept. 20287 ans1,25 milliard $6,125 %Financement du déficit budgétaire 2021
202128 sept. 203312 ans1,50 milliard $7,375 %Financement du déficit budgétaire 2021
202128 sept. 205130 ans1,25 milliard $8,250 %Financement du déficit budgétaire 2021
202228 sept. 20297 ans1,25 milliard $8,375 %Subventions carburant & soutien budgétaire
202415 juin 2031†6,5 ans700 millions $9,625 %Financement du déficit budgétaire 2024
20243 déc. 203410 ans1,5 milliard $10,375 %Financement du déficit budgétaire 2024
202530 janv. 203610 ans1,25 milliard $8,6308 %Financement du déficit budgétaire 2025
202530 janv. 204620 ans1,10 milliard $9,1297 %Financement du déficit budgétaire 2025

Sources : DMO, Bloomberg, Reuters

Les perspectives de long terme du Nigeria

Le paradoxe persiste : un pays richement doté en ressources naturelles, mais avec un espace budgétaire très limité.
Le pétrole et le gaz représentent encore ~65 % des recettes publiques et >85 % des exportations (EITI).
Les problèmes de production, les infrastructures insuffisantes et les subventions héritées freinent la transformation de cette richesse en développement inclusif.

Le Nigeria possède aussi d’importantes réserves de gaz naturel, bitume, fer, or, et des gisements émergents de lithium et minéraux critiques.
Pourtant, le secteur minier non pétrolier représente moins de 1 % du PIB, autour de 0,3 % selon les estimations.

La trajectoire à long terme dépend également des fondamentaux démographiques.
Selon l’ONU (2024), la population devrait atteindre 360 millions en 2050, avec un âge médian < 20 ans.
Ce boom démographique peut être un dividende ou un risque selon l’emploi, l’éducation et la gouvernance.

Dans le secteur privé, Lagos est maintenant un hub technologique de plusieurs milliards de dollars.
Les fintechs comme Flutterwave, Moniepoint et Paystack attirent d’importants investissements.
Afrobeats et Nollywood renforcent l’économie culturelle mondiale.

La diaspora constitue un autre pilier : entre 19 et 20 milliards USD de transferts en 2023 (Banque mondiale).

Régionalement, le Nigeria est stratégique.
Au sein de la CEDEAO, il est la première économie et démographie.
Des initiatives comme PAPSS et la Zone monétaire ouest-africaine peuvent rapprocher marchés francophones et anglophones.

Correctement déployés, les projets financés par Eurobonds pourraient favoriser un corridor Lagos–Accra–Abidjan–Dakar, créant un axe régional de commerce, logistique et innovation.

Mais cela exige discipline budgétaire, institutions fortes et passage d’une dette de survie à une dette de transformation.

Sources

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